Sous l’impulsion de la révolution industrielle, l’humanité s’est découverte une multitude de savoirs, de savoir-faire, de possibilités et de perspectives de développement économique notamment par l’apparition de métiers, de secteurs d’activités tels que celui de l’industrie cimentière. Cette dernière, est certes génératrice de beaucoup d’emploi. En revanche, aujourd’hui, elle est à l’origine de 5% de la pollution mondiale. Et dans des pays en voie de développement, les répercussions peuvent également toucher les aspects sociaux et sociétaux. Focus sur les 3 géants de la production du ciment au Sénégal : Sococim, Les Ciments Du Sahel (CDS) et Dangote.
Le paysage de la cimenterie sénégalaise
- Sococim
L’industrie Sococim est la première cimenterie du Sénégal, créée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, en 1948, à Rufisque par M. André LINDENMEYER. A sa création, son capital était évalué à une trentaine de millions de francs avec une capacité de production de 40.000 tonnes par an. A partir de 1999, l’entreprise passe entre les mains du Groupe familial Vicat qui en devient le propriétaire.
- Les Ciments Du Sahel
Avec un capital annuel qui se situe au-delà de 13,5 Milliards et une capacité de production de 600000 Tonnes, « les ciments du sahel » est une entreprise en plein essor. Elle a été créée en 2002 par la famille Layousse et se trouve au cœur de la commune de Diass, dans le village de Bandia situé dans la région de Thiès, à 1h de la capitale sénégalaise. La géomorphologie de la commune de Bandia est propice pour l’implantation d’entreprises qui s’activent dans le domaine de la cimenterie. En effet, on note la présence de carrières calcareuses.
- Dangote
De son vrai nom, Dangote Cement Sénégal, Dangote est la dernière cimenterie arrivée dans le paysage sénégalais des producteurs de ciment. Elle a été lancée en 2015, et pendant ces 5 années d’existence au Sénégal, la cimenterie en est à un peu plus de 3 millions de tonnes de production, si l’on en croit aux dires du Directeur des ventes. La fabrique de ciment est basée dans la Région de Thiès, notamment à Pout.
Les répercussions environnementales et sociétales liées aux activités de ces géants de la cimenterie sénégalaise
Plus vieille société de cimenterie au Sénégal, la pollution provoquée par les activités industrielles de la Sococim fait l’unanimité. Depuis plus de 70 ans, les habitants de Bargny composent avec les reflux toxiques de la plus grosse cimenterie de l’Afrique de l’Ouest. La zone d’implantation de l’usine est aujourd’hui habituée aux nuages épais de poussière qui envahissent désormais le décor de la ville de Rufisque. Conséquence évidente, si on sait par exemple que chaque année, 250.000 tonnes de charbon sont en effet nécessaires pour fabriquer le ciment.
Cependant, jusqu’à ce jour, malgré la pollution évidente provoquée par ce géant de la cimenterie, la littérature sur l’impact environnemental réel de la Sococim sur l’environnement et la société est presque inexistante. Est-ce l’oeuvre des lobbyistes de la Sococim et/ou de son.sa Responsable RSE ? En tout cas, le mystère plane.
Si la Sococim s’en sort mieux avec la gestion de son image et la presse sur le plan officiel, ce n’est malheureusement pas le cas des deux autres concurrents dont les répercussions de leurs activités sur l’environnement et la société sont reprises au grand jour par la presse en ligne.
Pour le cas de Dangote, en Avril 2019, le Conseiller Municipal de Keur Moussa, Monsieur Malick Guèye déplorait les impacts négatifs que subit un village dont dépend sa municipalité. “Le village de Ngomène souffre des impacts environnementaux jugés néfastes de l’exploitation des carrières et de la cimenterie de Dangote sur son agriculture, son élevage et la santé de ses populations.” En sus, les 10.000 habitants de ce village qui vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage voient leurs cultures détruites par les poussières de ciment qui les recouvrent en saison sèche. Ceci, sans noter les problèmes qui sont liés à la santé des populations.
Par ailleurs, à quelques kilomètres, à Bandia, les populations se demandent si la cimenterie Les Ciments du Sahel ne va pas finir par détruire la réserve naturelle de Bandia qui représente un joyau écologique par la réintroduction de grands mammifères d’Afrique. Ce risque de destruction de la réserve de Bandia entraînerait concrètement la disparition de plus de 100 espèces animales. L’exploitation des carrières de Bandia par les ciments du Sahel modifie également le paysage et l’écosystème de la région. En effet, originellement, la commune de Bandia était particulièrement caractérisée par une forêt dominée de très loin par l’arbre du Baobab qui représente d’ailleurs un symbole fort de la République du Sénégal. Toutefois, ce trésor est aujourd’hui fortement menacé par l’exploitation abusive de cette zone. Aujourd’hui, sur 10.000 ha, à l’origine, la forêt de Bandia n’occupe plus que 2000 ha. C’est peu de dire que la disparition du Baobab est hélas en voie, depuis plus de 60 ans dans cette zone. Cette situation installe une grande désolation au sein de la population avec le ralentissement des activités économiques de la commercialisation des fruits et feuilles du baobab qui ont une vocation médicinale.
Quelles préconisations ?
Il est clair que ces différents cimentiers mettent en place des actions de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), des mesures de prévention et de sécurité. Mais la vraie question c’est est-ce réellement suffisant ?
La Sococim, seule entreprise qui, aujourd’hui, a une vitrine digitale, affiche sur son site web un engagement dans des actions de RSE notamment avec la création d’une fondation dans les années 2010. De même, nous y trouvons des informations liées aux nouvelles technologies utilisées qui témoignerait d’une éventuelle réduction de la pollution à 15%. D’ailleurs, la certification ISO 14001 lui permet d’accéder à une certaine reconnaissance en tant qu’acteur de la RSE. En revanche, nous pouvons également nous interroger sur l’identité de l’organisme d’accréditation de cette certification ISO 14001, sur sa légitimité, sur son indépendance ainsi que la date d’obtention de cette certification. De surcroît, pour une grande cimenterie telle que la Sococim, une certification ISO 9001 à jour ne serait pas également de trop.
Pour ce qui concerne Les ciments du Sahel et Dangote, en tant qu’entreprises contribuant aussi grandement à la pollution de leurs zones d’implantation, elles essaient tant bien que mal de compenser les impacts négatifs de leurs activités par un soutien aux populations environnantes. Mais toujours est-il que ces efforts peuvent être largement optimisés et pensés dans une logique de réduction de la pollution, promotion du développement local, et intégration des mesures de prévention pour limiter ou endiguer les risques liés à la santé publique.
Pape Moussa Kassé & Assane Mahmoud